Fonatïn, 2021 - 2022



Performance, 30 min.

Avec la participation de : Jeanne Bazile, Vincent Conseil, Léa Emo-Dambry, Jean-François Glinec, Annabelle Grailhe, Camille Guerin, Géraldine Guerin, Raymond Henry, Chantal Herry, ANa Anaa, Andrée Le Gall-Sanquer, Ophélia Prigent, Océane Rabévolo, Sarah Valentin, Cloé Valère, Anna Zaletaeva.
Liqueur réalisée par Vincent Conseil, distillerie Brumenn, presqu’ile de Crozon.

Crédits Photo : Mosquito Coast Factory, Andrée Le Gall-Sanquer, Jeanne Bazile, Léa Emo-Dambry


***The project I imagined for the gardens of the Daoulas Abbey is designed from several pickings made since the fall of 2021 with a group of inhabitants: in the herb garden of the abbey, on the edge of the road and along the harbor of Brest. As the seasons go by, they have shown their involvement and form a group of singers for the performance. Between evening and musical show, I propose to linger at the fountain of the abbey, near the oratory and a small strange sculpture, half-pagan half-Christian.***




En 2021, j’ai été invitée par l'association L'Atelier Culturel et la commissaire Joëlle Le Saux à participer à un nouveau festival intitulé soñj. Le festival propose aux artistes d’investir un ensemble de sites patrimoniaux répartis sur huit communes du Pays de Landerneau-Daoulas. J’ai travaillé sur les jardins de l'abbaye de Daoulas. Les jardins de l'abbaye de Daoulas : sur les terrasses supérieures un jardin des Simples, plantes médicinales, jardin monastique. En contrebas, un jardin d'arbres exotiques, Asie, agrumes, jardin d’acclimatation. Plus bas encore, une terre gérée selon une "planification différenciée”, en friche, Tiers paysage. Je m’attarde sur les deux premiers.



Note :

« Les jardins de l'abbaye de Daoulas ont été créé dans les années 90 mais prennent racine dans deux traditions anciennes, deux concepts de jardins emblématiques de la culture occidentale. La première, c'est la tradition médiévale du jardin des Simples. Le choix des végétaux est réalisé en fonction de leurs propriétés médicinales pour soigner les maux quotidiens. Une plante équivaut à un soin, prodigué directement aux patients. La plante est la pharmacopée elle-même. 
La deuxième est celle du jardin d'acclimatation dont la fonction est  politique. Créé pour conserver les semis et graines provenants de différents continents en vue de les cultiver, le jardin d’acclimatation sert à étudier les propriétés des plantes et à analyser leurs capacités d'adaptation à un climat autre que celui où elles poussent spontanément.
Le jardin d'acclimatation a modifié considérablement l'usage des plantes. Le jardinier n'est plus celui qui reçoit le bénéfice de la plante. L'usage ne concerne plus seulement une communauté, mais le monde entier. On fait voyager les plantes, on échange sur leurs capacités, on les modifie en les considérant comme des produits et des monnaies d'échanges. 
Les questions qui me viennent directement à l'esprit  : Que disent la cohabitation de ces plantes? Quelles trajectoires géographiques, quels trajets idéologiques et symboliques les humains ont-ils fait emprunter aux plantes pour qu'elles puissent venir s'acclimater ensemble sous le climat breton? De quel syncrétisme s'agit-il? De quel récit s'agit-il? Quelles mémoires puis-je convoquer? Quels fantômes? Quelles racines? »


Première chose, travailler sur place avec les habitant·e·s et usager·ère·s des jardins. Lancer un Appel à cueillir. Affiches de l’artiste Coline Hégron. 








Un groupe se constitue : des habitant·e·s de la région, différents âges et métiers : étudiantes des Beaux Arts de Brest,  agriculteur paysan, naturopathe, artistes et céramistes,  distilleur de plantes, curieux et curieuse, ancienne fermière bio; mais aussi les équipes des institutions accueillants le projet : la médiatrice, la jardinière, la présidente de l’association d’histoire locale et de patrimoine, la commissaire d’exposition.

Plusieurs ateliers se sont déroulés : cueillettes dans les jardins de l'abbaye, en bordure des chemins, des terrains agricoles, de la rade et à la plage. Séchage des végétaux sur claies. Infusion, confection de boissons, lectures de textes. Echanger des savoirs en ramassant, en séchant. Je raconte comment j’imagine notre rencontre.





Calament
Poivre de Sichuan
Aurone
Grand ortie
Armoise
Menthe suave
Racine de raifort
Romarin
Camomille Romaine
Marjolaine
Marube blanc
Absinthe
Valériane
Verveine citronelle
Pétale de rose
Benoite urbaine
Germandrée
Reine des près
Berce
Obione
Fucus Seratus
Camomille inodorante
Prunelier
Bette maritime
Ascophylle noueux
Silène maritime
Pissenlit


Je me mets à écrire à partir de ce qu’on cueille, de comment on cueille. Hymne d’un travail libéré du temps de travail. Idée de créer une tradition, un chant lié à une pratique, qui voit le jour dans l’avenir. Je décide d’inclure les cueill·eur·euse·s dans la performance.


Fonatine (hymne de cueilleur·euse·s)




Nous sommes les cueill·eur·euse·s de paysages
Nous sommes les glan·eur·euse·s de graines sauvages

Nous marchons à travers champs et friches,
Nous brassons les fleurs, les feuilles, les tiges

Nous transportons les graines dans nos cheveux
Leurs racines creusent nos narines

Bottes aux pieds, libres de traverser
La boue, les ruisseaux, les vagues, les marées

A tout bout et hors du champ, nous cueillons
Corps légers au dessus des graminées

Nous sommes les cueill·eur·euse·s de paysages
Nous sommes les glan·eur·euse·s de graines sauvages

Les fruits, les akènes et les sommités
Nous racontent où et comment nous sommes né·e·s

Nous écoutons le crissement de l’herbe
C’est le chant, l’appel des anciennes

Celles qu’on prenait pour des sorcières
Sont les seules remèdes de nos plaies

Que savons-nous de ce qui nous soigne?
Sais-tu seulement ce qui t’empoigne ?

Que savons-nous de ce qui nous soigne?
Sais-tu seulement ce qui t’empoigne ?


Sais-tu seulement ce qui t’empoigne ?


Je classe, je rapproche les plantes. Leurs propriétées, leur potentialités.

  • Puissance - Force - Energie, clameur, affirmation
Raifort, Fucus : Puissance, savoir des récolteurs d’algues, four à goemon, savoir faire, rythme de travail . femmes, enfants, « petites mains », récolter la mer. Berce / Poivre de Sichuan / ortie : chaud, épicé, agrumes, engourdissant, puissante, effacement (mémoire?). Pissenlit / Menthe suave: l’hôte, la langue

  • Détente, rêve, contemplation, écoute, acuité
Calament, Camomille : intellectuel, les yeux, amères : un souvenir persistant. Rose / reine des près / algue: rêve d’eau. Reine des près / Camomille : l’eau et les yeux : fontaine

  • Armoise commune Amère avec la camomille plante des femmes. Amertume plante à bruler

  • Ambivalence, trans, identité, politique
Reine des près/ berce : masculin/ féminin, miel et agrume. Valériane / Rose : ambivalence, effet double, rose extra féminin

Je crée des services. Plantes transformées en boisson, en récit, en chant :

Service 1 : la politique
  • reine des près, berce
  • rose, camomille romaine, reine des près, algue

Service 2 : la douleur
  • raifort et algue
  • berce et poivre de Sichuan

Service 3 : la langue
La langue suave : Angélique, menthe suave, fenouil, tanaisie, calament, mélilot, menthe poivrée, Achille, mélisse, origan crête.
La langue anisée : angelique, menthe suave, fenouil, tanaisie, calament, mélilot, menthe poivrée, achillée millefeuille, mélisse, origan crête
Liqueurs realisées en collaboration avec un des cueilleurs du groupe, Vincent Conseil, qui est distilleur, distillerie Brumenn, presqu’île de Crozon. 

Service 4 : les cellules
Les cellules lavande : romarin, sarriette, origan, lavande, menthe poivrée, immortelle, sauge, verveine citronnelle
Les cellules amères : lamier blanc, angélique, verveine médicinale, menthe suave, hysope, livèche, aigremoine, tanaisie, verge d’or, alchillée millefeuille absinthe, sauge, marrube, armoise, millepertuis, mélisse, camomille romaine Liqueurs realisées en collaboration avec un des cueilleurs du groupe, Vincent Conseil, qui est distilleur, distillerie Brumenn, presqu’île de Crozon.


Ecriture de plusieurs textes, histoires liquides chapitrées en service. Bues, lues, dites de mémoire, chantées. Tracer une histoire non linéaire des plantes et de son territoire. Les plantes vagabondes, les sources d'eau, la place des savoirs oraux, oubliés, féministes, les rites celtes et chrétiens. Que nous fait l'histoire? Comment accueillir ce souvenir? Comment exprimer ce que nous font les lieux?

La performance prend la forme d'une veillée. Une narration placée dans la fontaine de l'abbaye de Daoulas. Une fontaine foyer qui rassemble le public venu s'y asseoir à l’intérieur. Une veillée qui évoquent les différents sites de l'abbaye où l’oralité et l’échange y sont essentiels. Des lieux traversés par la parole, le soin, les gestes quotidiens, les savoirs oraux, l'eau, la source, le commun, le collectif.

La performance se réalise en boucle, trois fois d’affillées sur deux soirs. Une ritournelle.